A vingt jours du premier tour la campagne s’agiterait-elle enfin ? Baisse d’Eric Zemmour, montée de Jean-Luc Mélenchon, poussée de Marine Le Pen, consolidation d’Emmanuel Macron, de quoi ravir les observateurs politiques. On avait beau le savoir c’est toujours vrai : chaque campagne présidentielle française apporte son lot de surprises et en général de dernière minute (en l’occurence de derniers jours). En attendant la campagne continue entre un Président candidat à mi-temps, un ancien Président qui soutient finalement son camp et des aspirants qui marchent, ou nomment déjà leur gouvernement. A suivre…
Photos de campagne
« La communication consiste à raconter l’histoire que l’on veut donner » pour Christian Delporte professeur et spécialiste de l’image et de la parole politique. 2017 : avec Emmanuel Macron arrive un nouveau style, au sens propre comme au figuré. Il faut en effet montrer dans sa communication et dans son image qu’il incarne en tout point la nouveauté, le renouvellement, la jeunesse aussi. C’est toute une iconographie qui doit suivre.
Cinq ans ont passé et le Président n’est plus un jeune premier. Et tout cela se traduit en images. Cela est en partie l’oeuvre d’une personne : jamais une photographe officielle n’avait été aussi visible que Soazig de la Moissonnière.
S’il est bien entendu d’usage que le Président installe au service photographique de la Présidence une personne en qui il a confiance, la majorité des autres salariés, à l’image des 1000 salariés du Palais, demeurent au fil des élections. Soazig de la Moissonnière est un cas à part : réalisatrice du portrait officiel du Président de la République, elle est connue de tout le microcosme.
Les portraits du Président en hoodie ? C’est elle. Mais à quel moment s’arrête l’image du Président et à quel moment commence l’image du candidat ? La difficulté d’un Président/candidat, qui doit rester candidat et en même temps ne pas utiliser les moyens de l’Etat s’était déjà posée lors du lancement de la webserie par la campagne du parti présidentiel : le candidat était filmé à l’Elysée. Son équipe a alors argué que le candidat se trouvait dans l’aile privée et donc dans son logement. Une question plus difficile à régler pour la photographe salariée de la présidence de la République. D’où le choix fait par l’Elysée d’aménager le contrat de la photographe pour lui permettre d’être à mi-temps sur la campagne.
Par Renan Quiniou
Territoires de campagne
“Il faut finir une campagne à Toulouse”. “Il faut absolument un déplacement en Haute-Loire”. “Toute campagne doit passer par Marseille”. Chaque élection a ses incontournables en termes de déplacements entre tradition et stratégie électorale. Certains territoires verront y défiler la quasi-totalité de candidats : la Seine-Saint-Denis, département accueillant le plus grand nombre de déplacements publics, mais aussi Jarnac ou Colombey-les-Deux-Églises suivant l’affiliation politique des aspirants président(e)s. Les Outre-mers sont un passage obligé, tout comme les grands bassins industriels du nord de la France. Les villes où les militants sont les plus nombreux doivent aussi être ciblées.
Et si finalement dans une campagne qui ne ressemble à aucune autre les déplacements des candidats étaient une tradition immuable ? Quel gain électoral permettent-ils à l’heure où s’exprimer sur les réseaux sociaux vous assure une audience plus sûrement qu’un meeting ?
Si se “déplacer” ne suffit plus, le déplacement reste toutefois un critère de notabilité électorale : impossible d’être un candidat sérieux sans en faire. Alors existe-t-il une géographie électorale gagnante ? Réponse dans les prochaines newsletters au travers d’une analyse des déplacements des candidats.
Par Marie Cros et Justin Dérobert
L’œil de la marque : l’écologie politique entre intérêt des marques et désintérêt médiatique
C’est l’un des paradoxes alimentant le sentiment que la campagne présidentielle « n’aborde pas les vrais problèmes » des Français : alors que la crise environnementale constitue leur seconde préoccupation derrière le pouvoir d’achat, la part du temps médiatique qui lui est consacrée n’atteignait que 2,8% début mars.
À l’inverse, captant une demande, les marques étoffent leur offre pour y répondre. Aussi ne se contentent-elles pas d’intensifier les communications sur les sujets écologiques (11% des investissements publicitaires en 2021 ont été dédiés à la RSE), mais encore les adossent-elles à des démarches complètes d’engagement.
En protagonistes politiques sommés de joindre les paroles aux actes, les annonceurs forment alors de puissants dispositifs, associant campagne et programme : ainsi du Crédit Agricole, dont le dernier film de marque illustre le Projet Sociétal ; de leboncoin, dont l’ode au changement est compatible avec les 12 propositions pour l’économie circulaire ; d’Engie, appelant à accélérer la transition énergétique par une campagne marque et preuves ; ou encore la Banque Postale, dont la nouvelle campagne de marque célèbre les engagements citoyens d’une entreprise dorénavant à mission.
La communication écologique à même été récemment le lieu d’innovations, tant sur le fond – à l’image de l’appel à la sobriété lancé par Renault, une démarche inédite sur le secteur automobile – que sur la forme – tel Greenpeace, cherchant à immerger sa cible dans un futur catastrophique grâce aux nouvelles technologies : métaverse au Brésil et deepfake en France.
Visions, programmes, campagnes mobilisatrices : les marques peuvent inspirer des remèdes aux maux actuels de l’écologie politique, dont le philosophe Bruno Latour soulignait brillamment qu’elle réussissait « l’exploit de paniquer les esprits et faire bailler d'ennui ». Pour autant, à défaut des candidats, ce sont encore des actions politiques plus classiques qui font recette sur ce sujet dans les médias : seuls le Débat du Siècle et la Marche pour le climat ont réussi à faire bondir à 12% la couverture médiatique dédiée à l’écologie le weekend du 12-13 mars.
Par Clément Reuland
Des influenceurs au service des programmes ?
La politique peut-elle être divertissante ? Les débats de fond doivent-ils être sacrifiés sur l’autel de l’accessibilité ? La question a le mérite d’être posée à l’heure où Magali Berdah, figure de la télé-réalité, explique, début 2022, vouloir « vulgariser la politique et la rendre plus accessible ». À travers son format « 24h avec » diffusé sur Youtube, l’influenceuse s’immisce dans l’intimité des candidats à l’élection et s’intéresse aux coulisses de la campagne. Magali Berdah a déjà interviewé Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et plus récemment Anne Hidalgo. Les candidats se prêtent volontiers à cet exercice qui promet d’emmener aux urnes une jeunesse dépolitisée et abstentionniste. Ce format YouTube rappelle celui d’ “Ambition Intime”, émission présentée par Karine Lemarchand sur M6. C’est la même recette : éviter les questions épineuses pour se concentrer davantage sur la personnalité du candidat que sur ses idées.
Si le format peine à éclairer les électeurs sur le programme des candidats, il n’est pas nouveau. La rencontre entre Emmanuel Macron et McFly & Carlito avait déjà fait couler beaucoup d’encre. La question qui se pose dès lors est la suivante : les influenceurs issus des réseaux sociaux, qui ont montré leur pertinence dans une campagne, peuvent-ils contribuer au débat sur le fond et pas uniquement sur la forme ?
Il semblerait que oui. Certaines émissions offrent un traitement plus approfondi des thématiques politiques comme la chaîne de Jean Massiet sur Twitch ou « L’interview face cachée » lancée par Hugo Décrypte sur YouTube. À travers un format court et ludique, le vidéaste parvient à aborder des questions de fond sur les mesures avancées par les candidats. Les influenceurs semblent dès lors avoir pris conscience de la responsabilité nouvelle que leur audience leur donne, et participent ainsi à la vitalité démocratique.
Par Lisa Le Scornet
En route pour le 3ème tour ?
80% des Français prévoient déjà la victoire d’Emmanuel Macron… Les sondages placent le candidat sortant loin devant ses concurrents, comme si l’élection était jouée d’avance. Vraisemblablement avec la guerre en Ukraine, le Président Macron voit sa côte de confiance augmenter à mesure que le conflit avance, impliquant nécessairement une communication marquée par ce trait : il n’est plus le candidat de la disruption comme en 2017, mais celui de la continuité, comme l’a illustré la présentation de son programme. La stature du chef de guerre -sans cesse rappelée par ses conseillers, rassure et l’instabilité internationale rend nécessaire, dans l’imaginaire collectif, une constance dans l’exercice du pouvoir à l’échelle nationale.
Même si ses vidéos de campagne scénarisées à la Netflix répètent son humilité face à la l’élection, ce n’est pas pour autant qu’il descendra dans l’arène pour débattre avant le 2nd tour. Laissant planer une certaine indifférence en ce qui concerne cette formalité pour celui qui attend, sereinement, son adversaire du 2nd tour.
Cette stratégie comporte un risque. Si la campagne ne permet pas de créer les conditions du débat, a fortiori si celui ci à des forts airs de déjà-vu, il risque de quitter le champ politique pour la rue. Et ainsi ouvrir un “troisième tour social” souvent évoqué par les syndicats. Le climat social s’érode progressivement, déjà sous tension depuis les Gilets Jaunes et la pandémie, et risque de s’échauffer encore davantage dans un contexte où le pouvoir d’achat cristallise les attentions.
Et si l’enjeu politique et de communication pour le candidat Macron, n’était pas sa réélection, mais le lancement de son 2ème mandat ? Alors que le recul de l’âge de la retraite sera a priori sur la table dans les prochains mois, la stabilité tant recherchée par le Président risque d’être mise à mal, non pas par ses adversaires politiques en campagne électorale… mais par ses concitoyens eux-mêmes.
Par Tiphaine Armand
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